Chronique parue dans Le Courrier du 25.07.2024
https://lecourrier.ch/2024/07/25/les-crimes-de-haine-doivent-etre-reprimes
Le jeudi 18 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Lettonie avait violé les articles 3, qui interdit les traitements inhumains et dégradants, et 8, qui garantit le respect de la vie privée, combinés avec l’article 14 de la Convention, qui prohibe la discrimination, pour ne pas avoir réprimé suffisamment une agression homophobe1.
Né en 1977, le requérant se promenait le 8 novembre 2020 avec son compagnon et leur chien au marché local de Riga. Alors qu’ils s’approchaient d’un magasin de fleurs, ils croisèrent deux hommes visiblement en état d’ébriété. C’est alors que l’un d’eux leur a crié, en russe, une expression très vulgaire (dolbanaya zadnitsa: soit, «putain de trou du cul» et l’autre a donné un coup de pied, pas fort mais perceptible, dans les fesses du requérant. Après que ce dernier a averti qu’il appellerait la police, le premier lui a rétorqué sur un ton moqueur qu’il «voulait coucher avec lui». Puis les hommes sont devenus agressifs tentant de frapper le requérant qui, pour éviter la violence, s’est réfugié dans le magasin de fleurs, en fermant la porte. Les hommes ont alors tenté d’entrer dans le magasin, insultant le requérant par un langage sexuellement explicite, puis le deuxième homme s’est exhibé. La police retrouva le premier agresseur qui admit s’être senti offensé par le requérant et son compagnon qui se tenaient par la taille. Ouverte pour hooliganisme, la procédure pénale fut close au mois de mai 2021, l’enquêteur ayant conclu qu’aucun élément constitutif d’une infraction pénale n’avait été établi. Le requérant recourut pour faire incriminer l’auteur de crime de haine, mais en vain. L’auteur fut finalement condamné à une amende administrative de 70 euros, pour hooliganisme mineur.
La Cour rappelle que les Etats ont l’obligation de sauvegarder l’intégrité physique et psychologique d’une personne. Ils ont en tous les cas le devoir de mener une enquête capable d’établir les faits, d’identifier et, le cas échéant de punir les responsables. Elle ajoute que lorsque l’on soupçonne que des attitudes discriminatoires sont à l’origine d’un acte violent, il est particulièrement important que l’enquête officielle soit menée avec vigueur et impartialité, compte tenu de la nécessité de réaffirmer en permanence la condamnation de tels actes et de maintenir la confiance des groupes minoritaires dans la capacité des autorités à les protéger contre la violence motivée par la discrimination. Elle souligne, en référence à des arrêts antérieurs, que sans une approche stricte de la part des autorités chargées de l’application de la loi, les crimes motivés par la haine seraient inévitablement traités sur un pied d’égalité avec les affaires ordinaires dépourvues de telles connotations, et l’indifférence qui en résulterait équivaudrait à un acquiescement des autorités, voire à une connivence avec les crimes de haine2.
Dans le cas particulier, les autorités lettones ont écarté le crime de haine, pour le motif que les actions de l’auteur ne visait que le requérant, sans intention d’inciter publiquement à la haine. L’auteur a certes été condamné à une modeste amende administrative, mais la Cour observe que cette procédure n’a pas porté sur l’élément haineux de l’agression et l’amende était manifestement trop clémente au regard de la gravité de l’acte. Les autorités lettones ont ainsi banalisé l’incident, traitant une attaque motivée par la haine comme un trouble mineur à l’ordre public, tel qu’une rixe entre ivrognes. Cette approche suggère une absence de réponse robuste à une agression motivée par l’orientation sexuelle du requérant, favorisant un sentiment d’impunité pour les infractions motivées par la haine plutôt que l’affirmation d’une position claire et intransigeante contre de tels actes. En conclusion, la Cour souligne l’importance cruciale de lutter contre l’impunité dans les cas de crimes de haine, car ceux-ci constituent une menace importante pour les droits fondamentaux protégés par la Convention. Le fait de ne pas traiter de tels incidents peut normaliser l’hostilité à l’égard des personnes concernées, perpétuer une culture d’intolérance et de discrimination et encourager d’autres actes de nature similaire.
Ce printemps, les organisations de défense en Suisse des personnes LGBTI+ s’inquiétaient de la hausse des agressions à leur encontre3. Depuis le 1er juillet 2020, le droit pénal réprime également l’incitation à la haine contre une personne en raison de son orientation sexuelle4, mais, comme en Lettonie, la norme en question ne vise que l’incitation publique à la haine. Cet arrêt apportera sans nul doute un éclairage intéressant sur les procédures en cours.
Pierre-Yves Bosshard, titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes
- Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 18 juillet 2024 dans la cause Deniss Hanovs c. Lettonie (5e section) ↩︎
- Arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 mai 2015 dans la cause Identoba et autres c. Géorgie (4e section) et du 14 janvier 2021 dans la cause Pavla Sabalic c. Croatie (1e section, arrêt de principe) ↩︎
- Dépêche ATS parue notamment dans Le Courrier du vendredi 17 mai 2024. ↩︎
- Art. 261bis du Code pénal qui a fait l’objet d’un arrêt de principe sur ce point rendu par le Tribunal fédéral le 11 mars 2024 (arrêt 6B_1323/2023 destiné à publication) ↩︎