Chronique parue dans Le Courrier du 18 novembre 2022
Le 17 novembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a dit à l’unanimité que la Grèce avait violé le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, pour n’être pas entrée en matière sur les demandes d’indemnisation d’une personne condamnée et détenue qui avait par la suite été acquittée; elle a en outre considéré que la procédure de première instance avait été anormalement longue 1.
Le requérant, né en 1968, vit à Rethymnon sur l’île de Crète. Le 4 août 2004, une plantation de cannabis fut découverte dans un village de la région sur un terrain que le requérant avait loué pendant un certain temps. Au cours de l’enquête, le requérant a été entendu par le juge d’instruction comme accusé et une interdiction de quitter le pays lui a été signifiée le 20 janvier 2006. Le requérant a été renvoyé en jugement devant la Cour pénale de Crète en mars 2006. Après plusieurs audiences, il a été condamné le 1er novembre 2011 pour culture de cannabis à une peine de dix-huit ans de prison et à une sanction pécuniaire de 300 000 euros. Il a alors été immédiatement emprisonné. Il a cependant formé un appel et, le 15 octobre 2013, cette juridiction a admis son appel et l’a acquitté. Il a été libéré le lendemain. Le procureur a formé un recours en cassation, rejeté par arrêt du 13 janvier 2015.
Le 23 octobre 2013, le requérant a saisi la Cour d’appel de Crète d’une demande visant à obtenir une indemnisation pour la détention subie du 1er novembre 2011 au 16 octobre 2013, en raison de son acquittement. Le 28 novembre 2013, la Cour d’appel a ajourné l’affaire jusqu’à ce que le jugement d’acquittement soit devenu définitif. Après l’arrêt de la Cour de cassation du 13 janvier 2015, le requérant a formé une deuxième demande d’indemnisation en date du 11 février 2015. Cette deuxième demande a été écartée pour tardiveté, car formée après le délai prévu par la loi, de dix jours après l’arrêt de la Cour de cassation. Six mois plus tard, la cour, reprenant la première demande, l’a également écartée, la considérant comme prématurée car formée avant que le jugement d’acquittement ait été définitif.
La CrEDH rappelle que le droit d’accès à un tribunal est un aspect du droit à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Ce droit d’accès droit être concret et effectif et non théorique et illusoire. Certes, ce droit n’est pas absolu et l’Etat peut réglementer son accès, mais ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, ces limitations ne se concilient avec la Convention que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Dans le cas particulier, la Cour reconnaît que les règles grecques visaient la bonne administration de la justice et le respect de la sécurité juridique. Cependant, la Cour considère que la procédure à suivre pour une demande d’indemnisation n’était pas réglementée de manière cohérente et prévisible, que le requérant a été amené à en supporter les conséquences de manière non fautive, notamment parce sa première demande avait été ajournée, lui laissant croire qu’elle pourrait être jugée sur le fond, et, en définitive, que les juridictions grecques ont fait preuve de formalisme excessif, privant le requérant de l’essence même de son droit d’accès à un tribunal.
Le droit suisse reconnaît également à un prévenu acquitté le droit à une indemnité. Depuis l’entrée en vigueur du code de procédure pénal au niveau fédéral, la loi précise que c’est l’autorité pénale qui se prononce, soit la juridiction qui s’est prononcée en dernier sur le fond. Cependant, le texte légal ne règle pas de manière détaillée la procédure. La doctrine précise à cet égard qu’afin de sauvegarder le caractère informel de la procédure, l’autorité compétente devrait se montrer aussi large que possible avec les délais qu’elle fixe, car il convient d’éviter de créer artificiellement les forclusions strictes que connaît le droit de procédure civile.
- Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 novembre 2022 dans la cause Charalambos Makrylakis c. Grèce (1ère section).
1. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 juillet 2022 dans la cause Ousainou Darboe et Moussa Camara c. Italie (1ère section).
2. Associazone di giuristi democratici, équivalent des juristes progressistes en Italie, www.giuristidemocratici.it
3. Cf. arrêt Golajan Tarakhel et consorts c. Suisse du 4 novembre 2014 (Grande Chambre), § 99 et les références citées.
Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.