Extrait de la prise de position de l’AJP sur l’avant-projet de loi cantonale sur la privation de liberté et les mesures d’encadrement.
Tout d’abord, pour une appréciation générale concernant l’existence d’une telle loi à Genève, l’AJP relève que d’autres cantons, à l’instar notamment du canton de Fribourg, ont élaboré des lois cantonales d’encadrement, nonobstant l’existence des normes du concordat latin. Ces lois sont toutefois plutôt succinctes, se limitant à des normes d’organisation concrète.
Le Projet de loi sur la privation de liberté et les mesures d’encadrement présenté a l’ambition de régler pléthores d’aspects, emportant le risque d’un mélange de niveaux, de sorte que certains articles prévoient des règles qui devraient être contenues dans les lois au sens formel.
Nous allons vous exposer brièvement et non exhaustivement nos commentaires par thèmes, donc par articles groupés.
En ce qui concerne le Titre I, « Dispositions générales », des art. 1 à 20, une première remarque est faite sur l’art. 12 du projet. A notre sens, il sied de préciser l’exposé des motifs, dans le sens que l’exécution anticipée de la peine poursuit l’idée, qu’avant même l’entrée en force du jugement pénal, le régime d’exécution doit tenir compte de la situation particulière du détenu et aussi, le cas échéant, lui offrir de meilleures chances de (re-)socialisation (cf. arrêt du Tribunal fédéral du 16 février 2017 dans la cause 6B_73/2017, c. 2.1). Sauf exception, ce sont les dispositions propres à l’exécution des sanctions (art. 74 ss CP) qui s’appliquent (art. 236 al. 4 CPP).
Concernant le plan d’exécution de la sanction, nous rappelons, et cet élément ne ressort, à notre sens, pas suffisamment des art. 14 à 20 du projet de loi et de leurs commentaires dans l’exposé des motifs, que l’art. 75 al. 3, 1ère phrase CP précise que le plan d’exécution doit être fait : « avec le détenu ». Cet élément est important car il intègre pleinement le détenu dans l’élaboration de ce plan d’exécution, élément déterminant dans la réussite du processus d’exécution progressive de la sanction pénale.
A notre sens, les art. 14 à 20 du présent projet occultent cet élément ou ne le précisent pas suffisamment, emportant un risque de violation du code pénal.
En ce qui concerne le Titre II, intitulé « Milieu fermé et dispositions communes » et qui comprend les art. 21 à 84, une première remarque est faite sur l’art. 23 al. 2 du projet qui prévoit que la personne détenue reçoit un exemplaire du règlement de l’établissement dans une langue qu’elle comprend.
L’AJP souligne que la communication avec les personnes détenues ne doit souffrir aucun malaise. Une bonne communication permet d’éviter de nombreux malentendus, sources de problèmes importants au sein d’un établissement pénitentiaire. Les droits et devoirs de la personne détenue doivent impérativement être compris par celle-ci. Aussi, il sied à notre sens d’inclure l’exigence d’information dans une langue comprise du détenu dès l’information orale d’arrivée.
Par ailleurs, un article devrait être rajouté afin de prendre en considération l’importance de l’entretien d’entrée afin d’identifier d’éventuels facteurs pouvant rendre la personne détenue plus vulnérable en incarcération. L’entretien initial devrait permettre à notre sens d’identifier certains facteurs de vulnérabilité en prison, y compris d’éventuelles d’incapacités visibles ou invisibles comme la prise en considération de l’identité de genre et l’orientation sexuelle de la personne détenue.
Concernant l’art. 28, l’identité de genre est indépendante de l’orientation sexuelle. Un alinéa autonome devrait être consacré à la question de l’orientation sexuelle. Il conviendrait donc de biffer « ou de l’orientation sexuelle » à l’alinéa2 et d’ajouter un nouvel alinéa avec le contenu suivant : « Elle tient également compte de l’orientation sexuelle des personnes détenues. »
La note marginale devrait également être modifiée en conséquence : « Placement selon les genres et l’orientation sexuelle ». Enfin, un alinéa pourrait être ajouté pour tenir compte de la vulnérabilité spécifique aux personnes transgenres et intersexuées :
« Elle considère la possibilité d’un placement en cellule individuelle pour les personnes transgenres et intersexuées, si tel est leur souhait et si les conditions le permettent. »
Concernant les mesures thérapeutiques, il sied de relever que l’art. 31 n’apporte pas plus de précision que le cadre légal prévoit déjà. Or selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un délai d’attente de 6 mois dans un établissement carcéral sans structure médicale adéquate est contraire à l’art. 5 CEDH (cf. ATF 142 IV 105).
Il est le lieu de préciser donc la notion de courte durée qui doit donc impérativement être fixée dans la loi. Pour l’AJP, une courte durée ne devrait pas dépasser un mois. Par rapport au contenu de l’art. 33, la loi doit prévoir des dispositions particulières en faveur des personnes LGBTQIA+, des personnes vivant avec des incapacités et des personnes âgées, en sus des femmes détenues et des personnes détenues étrangères déjà mentionnées dans l’exposé des motifs.
Sur les questions liées à l’astreinte au travail et la formation continue des personnes détenues (art. 80 ss CP), une première remarque est faite sur l’absence de cadre de ces activités dans les établissements de détention. Si le code pénal prévoit le principe de l’astreinte et son but, il sied de rappeler qu’il est le lieu, dans le cadre de ce projet de loi, d’en préciser l’organisation et non les principes généraux.
Les conditions de travail en prison doivent être équivalentes aux conditions usuelles du travail en extérieur mais poursuivre des buts d’occupation et de resocialisation. Nous rappelons que dans le cadre d’un contrat de travail usuel, les heures de travail sont toujours précisées en corrélation avec la rémunération.
Or, non seulement, les art. 34 et 35 du présent projet ne précisent pas les conditions de travail mais ne fournissent pas de garanties comme un nombre d’heures quotidiennes et journalières maximales ni la sécurité en cas de maladie ou d’accident. Rien n’est mentionné encore sur un éventuel repos annuel, équivalent de congé payé ou de vacances.
L’AJP rappelle que des protections internationales existent afin de différencier l’astreinte au travail des personnes détenues du travail forcé. Une grande différence réside dans la quantité de travail fourni et à notre sens tout travail en détention ne doit pas dépasser six heures par jour et ne devrait pas atteindre 35 heures par semaines. Une garantie du pécule devrait également être prévu en cas de maladie ou d’accident et des règles claires concernant les droits aux congés payés et leurs modalités devraient exister.
Pour finir sur la question de l’astreinte, une grande lacune réside aujourd’hui dans l’impossibilité pour les personnes détenues en travail de discuter de ses conditions de travail. Les établissements pénitentiaires devraient établir qui à l’interne de la prison peut être contactée en cas de harcèlement psychologique ou sexuel dans les ateliers et lieux de travail en détention.
Ces exigences sont contenues dans les normes de rang international, donc sont les garanties générales pour éviter le travail forcé, prohibé.
Concernant les formations (art. 36), l’AJP rappelle qu’actuellement, les formations professionnalisantes ne sont pas ouvertes aux femmes détenues. La bonne application de cet article nécessite que des mesures soient prises pour y remédier.
Le règlement devrait également prévoir des formations permettant d’acquérir des compétences sociales (p. ex. théâtre, communication non violente et informatique).
Une remarque est faite sur l’art. 50, car selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en l’absence d’indices sérieux et concrets d’une mise en danger de soi-même ou d’autrui, une fouille corporelle imposant à une personne arrêtée, préalablement à son placement en cellule, de se dévêtir et de s’accroupir afin que le policier puisse vérifier la région anale viole le principe de proportionnalité (cf. ATF 146 I 79, c. 2).
Pour tenir compte des besoins spécifiques des personnes intersexes, l’alinéa 2 de l’art. 51 devrait être modifié comme suit : « […] aux personnes transgenres ou intersexes ».
Concernant la Section 8 et 9, sur le droit disciplinaire et les sanctions, une première remarque générale est faite sur l’absence malheureuse de d’exclusion des personnes souffrant de maladies psychiques des sanctions comportant un isolement cellulaire (cf. art. 63 ss Projet).
En effet, en lien avec le principe de l’art. 31 du projet, l’AJP tient à rappeler que les détenus dont l’exécution des peines privatives de liberté sont suspendues au profit de l’exécution de mesures thérapeutiques ne devraient pas être placés dans des établissements d’exécution de peine. Or, à ce jour nombre de personnes concernées sont détenues dans de telles conditions et l’évolution de leur état psychique s’en trouve prétérité pouvant aller jusqu’à l’adoption d’un comportement non adéquat pour l’établissement.
Pour l’AJP, une sanction en isolement cellulaire ne devrait toutefois jamais être prononcée contre ces personnes, en tant qu’un tel procédé est pris en violation avec le cadre normatif international et national.
Pour ces raisons, les art. 58 à 62 du présent projet devraient tenir compte de certaines limitations des sanctions en ce qui concerne les personnes dans l’attente de l’exécution des mesures thérapeutiques en milieu adéquat.
De plus, les art. 58 à 62 du présent projet devraient préciser les modalités d’entretien visant à entendre les personnes détenues avant le prononcé d’une sanction. Il sied de rappeler qu’un rapport de force inégal existe entre les personnes détenues et le personnel des établissements pénitentiaires et que par conséquent certaines garanties doivent exister pour éviter tout abus de pouvoir de ces derniers sur les premiers.
Un droit d’être entendu, notamment en lien avec l’astreinte au travail doit impérativement exister pour permettre d’identifier un éventuel mobbing ou harcèlement en atelier, exprimé de façon inadéquate par manque d’alternative. Autrement, aucune garantie ne permet d’affirmer que la sanction de suppression définitive de la place de travail a été prise en proportionnalité et en ultima ratio.
Concernant les art. 66 à 68 du présent projet, il est regrettable que les précisions concernant les modalités de traitement des dénonciations soient prévues par voie règlementaire. Une précision devrait être amenée dans le présent projet concernant le droit d’être entendu ensuite d’une pétition, d’une dénonciation ou d’une requête.
l’usage de la contrainte doit être réglé dans une loi au sens formel. Seuls des points accessoires peuvent être précisés par voie réglementaire.
En vous souhaitant d’ores et déjà bonne réception de la présente, je vous prie de croire, cher Monsieur, à ma haute considération.
Pour l’AJP, Clémence JUNG, co-présidente