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Prises de position

Consultation fédérale – modification du Code de procédure pénale

Dans leur ensemble, les nouvelles dispositions du P-CPP ont reçu un accueil favorable au sein de l’AJP, dans la mesure où elles codifient la jurisprudence fédérale rendue depuis l’entrée en vigueur de la procédure pénale unifiée. L’AJP salue également l’élargissement d’un certain nombre de droits procéduraux accordés à la partie plaignante (p. ex. art. 117 al. 1 let.g P-CPP ; art. 136 al. 1bis CPP ; art. 318 al.1bis et 3 CPP ; art. 352 al. 1bis CPP).

En outre, l’AJP approuve les modifications relatives à la règlementation de l’ordonnance pénale en faveur des droits de la défense (art. 88 al. 4 et 352 P-CPP) dans la mesure où elles permettent au prévenu d’être informé de l’existence d’une condamnation rendue à son encontre et pouvoir faire valoir ses arguments devant le Ministère public, à tout le moins pour des condamnation d’une certaine gravité. De même, nous nous réjouissons de constater que le projet prévoit la suppression de la fiction légale de retrait de l’opposition à ordonnance pénale en cas de défaut du prévenu (abrogation des art. 355 al. 2 et 356 al. 4 P-CPP).

Pour le surplus, l’AJP tient à apporter quelques commentaires aux articles suivants :

I. Art. 123 al. 2 P-CPP

Comme le relève à juste titre le Conseil fédéral dans son rapport de décembre 2017 (1), le dépôt des conclusions civiles chiffrées et motivées le jour des plaidoiries peut poser un certain nombre de problèmes pour la défense, dans la mesure où cette dernière n’aura souvent pas le temps de réagir de manière adéquate à tous les postes du dommage et ne pourra contester certains points problématiques. Il nous paraît donc primordial, au nom du droit d’être entendu, que le prévenu puisse disposer d’un délai suffisant pour prendre connaissance des conclusions de la partie plaignante et de pouvoir se déterminer en conséquence.

Toutefois, il peut arriver dans la pratique que des éléments nouveaux impactant certains postes du dommage puissent intervenir entre la clôture de l’instruction et la fin des plaidoiries. Tel serait par exemple le cas des dommages évolutifs, à l’instar des frais médicaux du lésé, qui pourraient varier entre la fin de l’instruction et l’audience de jugement. En pareille situation, il serait légitime d’autoriser la partie plaignante à pouvoir compléter ses conclusions civiles jusqu’à l’audience de jugement.

Dès lors, par souci de clarté, l’AJP propose de réserver expressément les éléments d’un éventuel dommage évolutif. On pourrait ainsi songer à la modification suivante de l’art. 123 al. 2 P-CPP : « Sous réserve d’éléments nouveaux, le calcul et la motivation des conclusions civiles doivent être présentées au plus tard à la clôture de l’instruction ».

II. Art. 133 P-CPP

Dans la mesure où le Ministère public est appelé à intervenir en qualité de partie au procès pénal lors des débats et la procédure de recours (art. 104 al. 1 let. c CPP), l’AJP approuve, dans son principe, l’attribution à un organe indépendant le choix d’un défenseur d’office.

L’AJP souligne en revanche qu’à la différence du système français, dans lequel l’Ordre des avocats regroupe l’ensemble des membres de la profession, les groupements d’avocats et/ou de juristes cantonaux sont constitués sous la forme d’associations de droit privé au sens des art. 60 ss CCS, de sorte à ce que chaque praticien reste libre d’y adhérer. Or, il nous paraît primordial que l’organe indépendant en question prenne en compte l’ensemble des avocatsinscrits au barreau cantonal, indépendamment de son affiliation associative.

Tel est actuellement le cas dans le canton de Genève en matière de désignation de l’avocat de la première heure, qui est confiée à la Commission du barreau (art. 8A al. 4 LPav). Cette dernière peut à son tour déléguer la tâche à une ou plusieurs associations d’avocats, en l’occurrence l’Ordre des avocats. Dans la pratique, le Ministère public notifie par la suite la nomination d’office à l’avocat de permanence. La permanence est ouverte à l’ensemble des avocats genevois, qu’ils soient ou non membres de l’Ordre des avocats.

En revanche, il nous paraît inadmissible qu’un législateur cantonal puisse déléguer directement une compétence étatique à une association privée, sans passer préalablement par l’intermédiaire d’un organe officiel.

Le système genevois mérite à notre sens de s’étendre au niveau fédéral, de sorte que l’organe indépendant en question fasse initialement partie d’une autorité étatique regroupant l’ensemble des avocats inscrits au registre cantonal, à l’instar de la Commission du barreau, seule l’organisation pouvant être déléguée à des tiers.

III. Art. 147a P-CPP

Selon le message du Conseil fédéral (2), la doctrine (3) et la jurisprudence (4) actuelles, la simple éventualité que les intérêts de la procédure soient abstraitement mis en péril relevant de la tactique procédurale ne suffit pas à justifier une exclusion de l’audition.

S’il peut être parfois légitime, afin de parer à un risque de collusion, d’exclure de l’audition un prévenu pour une période déterminée, l’exclusion automatique de l’avocat constitue à notre sens une atteinte disproportionnée aux droits de la défense. En effet, l’on ne conçoit pas comment le défenseur – qui par définition n’était pas présent au moment des faits à l’origine de la procédure pénale – puisse influencer la découverte de la vérité en posant des questions en fin d’audience à la personne auditionnée. Ainsi, al. 2 de l’art. 147a P-CPP relève une défiance injustifiée envers l’avocat de la défense, qui semblerait agir, exclusivement dans les intérêts de son mandant et pourrait à tout moment être à l’origine de collusion.

Par ailleurs, la jurisprudence a reconnu que le droit au débat contradictoire au sens de l’art. 147 CPP prenait naissance au même moment que celui de l’accès au dossier selon l’art. 101 al. CPP appliqué par analogie, à savoir après l’administration des preuves principales (5). Dès lors, à partir de ce moment, le défenseur exclu de l’audition pourrait requérir l’enregistrement sur support audiovisuel (art. 147a al. 3 P-CPP) et donc demander une réaudition. Cette pratique aura ainsi pour conséquence un allongement de l’instruction, au détriment du principe de célérité.

En outre, force est de constater que le Code de procédure pénale, prévoit d’ores et déjà dans sa version actuelle un certain nombre de gardes fous visant à parer à un éventuel risque de collusion. En effet, l’art. 108 CPP permet de restreindre le droit d’être entendu d’une partie, notamment dans un cas d’abus de droit (art. 108 al. 1 let. a CPP). De même, selon l’art. 146 al. 4 let a CPP, le Ministère public peut exclure temporairement une personne des débats en casde collision d’intérêts. Un prévenu qui chercherait à travestir la vérité tomberaient d’ores et déjà sous le coup de ces bases légales de sorte que l’ajout du nouvel art. 147a P-CPP apparaît comme superflu.

On constatera également que le nouvel art. 147a al. 2 P-CPP entre en contradiction avec l’actuel art. 108 al. 2 CPP qui prévoit que le conseil juridique d’une partie ne peut faire l’objet de restrictions que du fait de son comportement. Or, le projet ne prévoit pas de modification de cette disposition, le défenseur étant automatiquement exclu de l’audition indépendamment de son comportement.

Il nous paraît dès lors regrettable que le législateur restreigne de manière inadmissible des droits de la défense en excluant l’avocat des débats contradictoire alors même que le Code de procédure pénale dans sa version actuelle prévoit une série de dispositions permettant de sauvegarder la découverte de la vérité tout en garantissant le droit d’être entendu du prévenu.

IV. Art. 236 al. 1 P-CPP

Le projet de décembre 2017 pose une condition supplémentaire à l’octroi de l’exécution anticipée de la peine à savoir « que le prévenu peut exécuter la peine ou la mesure en étant soumis au régime ordinaire de l’exécution ». Selon le rapport explicatif, « les établissements pénitentiaires ne peuvent appliquer plusieurs régimes d’exécution à la fois » (6).

Or, cette affirmation est contredite par la réalité des conditions carcérales dans le canton de Genève. L’art. 1 al. 2 let. a du Règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées (RRIP) du 30 septembre 1985 (7) prévoit que la prison de Champ-Dollon – initialement destinée aux personnes détenues avant jugement – permet d’accueillir au sein de l’établissement des condamné dont la peine ne dépasse pas 3 mois. Dans la pratique cependant, il est fréquent de constater que des personnes condamnées demeurent à Champ-Dollon – notoirement connue pour ses problèmes de surpopulation (8) – pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, dans l’attente d’un transfert dans un établissement d’exécution, faute de places disponibles.

Ainsi, compte tenu de la situation carcérale difficile dans certains cantons et du manque de places dans les établissements d’exécution, un nombre important de détenus se verraient de facto privés de l’exécution anticipée de la peine pour des motifs qui ne peuvent leur être imputés.

Or, un déficit de places disponibles ne saurait péjorer la situation des personnes détenues, de sorte qu’elles doivent pouvoir bénéficier d’un régime de détention plus souple si les conditions sont remplies.

V. Art. 303a P-CPP

La fourniture de sûretés pour les délits contre l’honneur, se justifierait, d’après le rapport explicatif par le fait que « (…) dans ces cas, la motivation du plaignant n’est bien souvent pas de dénoncer la violation d’un bien juridique, mais plutôt le désir de revanche » (9).

Le mobile poussant une partie plaignante à saisir la justice pénale est une notion purement subjective et propre à chaque individu. En outre, le « désir de revanche » n’est pas l’apanage exclusif des personnes lésées dans leur honneur. Tel peut également être le cas pour des voies de fait (art. 126 CP), un vol d’importance mineur (art. 139 et 172ter CP), une contrainte (181 CP) ou tout autre infraction intervenant lors de conflits interpersonnels présentant une charge émotionnelle pour les intéressés.

Il est certes compréhensible que le législateur pénal ne souhaite pas interférer dans de tels conflits, poussant les parties à privilégier des modes de résolution amiable des différends. Il est également compréhensible que les autorités pénales, parfois surchargées, ne souhaitent pas entrer en matière pour des infractions « bagatelle ». Or, la fourniture de sûretés pour une catégorie déterminée d’infraction ne constitue pas un moyen adéquat.

En effet, les art. 52 CP, 310 et 319 CPP offrent d’ores et déjà la possibilité au Ministère public de prononcer une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement pour des infractions de peu d’importance. Par ailleurs, conformément à l’art. 427 al. 2 CPP les frais de la procédure peuvent être mis à la charge de la partie plaignante téméraire en cas de classement ou d’acquittement.

En outre, pour autant qu’il soit établi, le « désir de revanche », ne préjuge en rien de la gravité de l’infraction et son impact sur la situation du lésé. Tel serait notamment le cas du cyber- harcèlement. A l’heure du développement des réseaux sociaux et de la transmission rapide d’informations auprès d’un très large public, les dispositions protégeant l’honneur revêtent une importance considérable.

Par conséquent, pour autant que les conditions de l’action pénale soient remplies, la décision de péjorer la situation des victimes atteintes dans leur honneur par rapport à d’autres parties plaignantes nous paraît difficilement compréhensible. Aussi, l’AJP s’oppose à l’adjonction du nouvel art. 303a P-CPP.

VI. Art. 353 al. 2 P-CPP

L’AJP approuve les modifications apportées par les articles 126 al. 2 et 353 al. 2 P-CPP. En effet, les dispositions actuelles entrainent une multiplication des procédures, dans la mesure où la partie plaignante devra intenter une seconde procédure afin d’obtenir une décision quant à ses prétentions civiles.

Cette situation est défavorable pour la partie plaignante, qui devra se confronter une nouvelle fois à ce qu’elle a vécu ainsi qu’à l’auteur des faits. Elle l’est également pour l’Etat qui devra, suivant la situation financière des parties, prendre en charge les coûts de cette seconde procédure (frais de procédure et éventuels frais d’avocat).

Nous relevons toutefois deux points problématiques quant à la formulation proposée.

L’article 353 al. 2 P-CCP prévoit que le ministère public peut statuer sur les prétentions civiles si les conditions énumérées sont réalisées. Or, aucune latitude ne devrait être laissée à l’autorité de poursuite pénale dans un tel cas. L’AJP propose que celle-ci soit supprimée et qu’il soit prévu que le ministère public statue sur les prétentions civiles de la partie plaignante lorsque les conditions sont données.

S’agissant des conditions énumérées par l’article 353 al. 2 P-CPP, nous sommes d’avis que la let. a devrait être supprimée ou à tout le moins assouplie.

En effet, dans le cas d’une procédure pénale pouvant aboutir à une ordonnance pénale, l’instruction des prétentions civiles ne représente pas une charge importante pour le ministère public. Dans la majorité des cas, s’agissant de prétentions en dommage-intérêt, celles-ci sont démontrées par pièce. Quant aux prétentions découlant du tort moral de la partie plaignante, elle résulte généralement de certificats médicaux ou/ de l’audition des thérapeutes/médecinset de la parties plaignantes.

Ainsi, la condition mentionnée à la let. a de l’article 353 al. 2 P-CPP parait superflue. Elle permettra seulement au ministère public de ne pas se pencher sur la question des conclusions civiles. Les parties plaignantes risque ainsi de se retrouver dans la même situation qu’actuellement.

L’AJP est pour la suppression de cette condition ou, à défaut, que la let. a précise que le ministère public renonce à statuer sur les prétentions civiles sur leur établissement entraine une administration des preuves importante.

Anna Sergueeva, membre du comité
Clara Schneuwly, membre du comité

(1) Rapport explicatif p. 18.
(2) FF 2006 p.1143
(3) Cf. notamment. MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, 2e éd., ad. art. 108 § 5. 
(4) ATF 139 IV 25 = JdT 2013 IV p. 226 consid. 5.5. et références citées.
(5) ATF 139 IV 25 = JdT 2013 IV p. 226 consid. 5.1.

(6) Rapport explicatif, p. 32. 
(7) RS/GE F 1 50.04.
(8) Cf. notamment arrêts du TF 1B_239/2015 du 29 septembre 2015 ; 6B_688/2015 du 19 mai 2016 ; 6B_794/2015 du 15 août 2016; 6B_916/2015 X. du 15 août 2016 ; 6B_71/2016 X. du 5 avril 2017.
(9) Rapport explicatif, p. 36.