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Prises de position

Consultation fédérale – Initiative parlementaire 10.519 – Art. 53 CP

L’article 53 CP dans sa teneur actuelle prévoit l’exemption de peine de l’auteur lorsque a) l’auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu’il a causé, b) les conditions du suris sont remplies et c) si l’intérêt public et l’intérêt du lésé à poursuivre l’auteur pénalement sont peu importants.

Le texte de l’initiative parlementaire 10.519 propose un certain nombre de modifications à l’art. 53 CP, sur lesquelles l’AJP se détermine de la manière suivante :

  1. L’extension du texte légal à l’amende

L’AJP salue cette adjonction dans la mesure où la loi ne prévoit pas expressément, bien qu’elle soit admise dans la pratique (1), l’exemption de peine en cas d’amende, à savoir de contravention (2) ou d’amende délivrée à l’entreprise si sa responsabilité pénale est engagée (3). Tel a été notamment le cas de dossiers hautement médiatisés, notamment des affaires « HSBC » à Genève ou « Alstom » (4).

2. La restriction du champ d’application de la disposition par rapport à la quotité de la sanction

Alors qu’à ce jour l’art. 53 CP peut trouver application pour une sanction maximale de deux ans avec sursis (5), la Commission des affaires juridiques du Conseil national propose un abaissement du plafond limite à une peine privative de liberté de un an avec sursis (variante majoritaire n° 1), voire à une peine pécuniaire avec sursis (variante minoritaire n° 2), étant précisé qu’à partir du 1er janvier 2018, le montant de la peine pécuniaire ne pourra excéder 180 jours-amende (6).

Par cette initiative parlementaire, la volonté de la Commission des affaires juridiques du Conseil national est de « mettre fin au sentiment que les personnes solvables peuvent monnayer leur sanction » (7). La Commission part dès lors du postulat que plus la peine plafond sera basse, moins le justiciable aura l’impression que certaines personnes – physiques ou morales – nanties peuvent échapper à la sanction pénale.

L’AJP ne partage pas cette appréciation et estime cette modification inutile, voire contre- productive. En effet, le projet de la Commission privilégie la peine menace – et donc l’intérêt à la répression pénale – par rapport à la volonté initiale du législateur de faire primer « l’intérêt de la personne lésée qui préfère en général être dédommagée que de voir l’auteur puni » (8). En effet, l’art. 53 CP s’inscrit dans un modèle de restorative justice model, soit de justice réparatrice, en insistant avant tout sur la responsabilisation de l’auteur et le rétablissement de la paix sociale, par le biais de l’amélioration des relations entre l’auteur et la victime (9).

En effet, le critère déterminant pour qu’une exemption de peine selon l’art. 53 CP puisse intervenir – critère qui n’est pas remis en question par l’initiative parlementaire 10.519 – ne réside pas tant dans la fixation de la sanction elle-même – à savoir le nombre de jours-amende -, que dans les efforts effectifs accomplis par l’auteur en vue de compenser le tort causé (10). Il est ainsi déterminant que les efforts fournis en vue de la réparation entrent dans un rapport de proportionnalité avec la gravité de l’acte et ses conséquences (11). Le degré d’effort attendu sera ainsi fonction de l’ensemble des circonstances, notamment en regard de la culpabilité et de la situation financière propre de l’auteur(12). En effet, le premier objectif de la disposition en cause consiste à faire « appel au sens des responsabilités de l’auteur en le rendant conscient du tort qu’il a causé » (13)

S’agissant d’infractions contre des intérêts publics – blanchiment d’argent, faux dans les titres, corruption, etc. – le Tribunal fédéral a estimé qu’il faut examiner si la réparation suffit ou si l’équité et le besoin de prévention exigent d’autres réactions du droit pénal (14). Ainsi, dans un arrêt du 27 novembre 2008 relatif à un cas de faux dans les titres (art. 251 CP), le Tribunal fédéral a considéré qu’un auteur ayant participé à la confection des contrats de leasing-autopour des véhicules qui n’ont jamais existé, ne peut prétendre à l’exemption de peine de l’art. 53 CP, quand bien même le dommage a été réparé, ceci notamment afin de « ne pas choquer le sens de l’équité de la collectivité » (15). De même, dans une affaire du 26 octobre 2009, notre Haute Cour a refusé de mettre au bénéfice de l’art. 53 CP un auteur condamné pour escroquerie à l’aide sociale dans la mesure où « tant l’intérêt public que celui des contribuables justifient que le recourant soit puni » (16).

Si la volonté des initiants parlementaires d’éviter que des prévenus fortunés échappent à une sanction pénale amplement méritée doit être saluée, force est de constater que le texte légal initial n’a jamais eu pour vocation de favoriser des délinquants aisés susceptibles de monnayer leur sanction par l’application de l’exemption de peine de l’art. 53 CP si l’équité ou un besoin de prévention appellent tout de même une sanction (17).

Il est ainsi de notre avis que, dans la mesure du possible, la rédemption de l’auteur devrait passer par la réparation de ses torts avant la répression pénale pure, ceci tant dans l’intérêt de la société que dans celui de la victime.

Au-delà des affaires hautement médiatisées impliquant de richissimes délinquants ou de grandes sociétés, il serait regrettable que des particuliers ayant commis pour la première fois une infraction passible du sursis ne puissent disposer de la capacité de faire amende honorable auprès du lésé ou de la collectivité, étant précisé que la réparation ne doit pas forcément consister en une somme d’argent attribuée au lésé mais peut également prendre la forme « d’excuses, d’un cadeau ou d’un don à une institution d’intérêt public a fortiori soutenue par le lésé » (18).

On pourrait ainsi citer à titre d’exemple la situation d’un prévenu A ayant blessé accidentellement son ami et passager B alors qu’ils rentraient en voiture d’une soirée alcoolisée. Le Ministère public pourrait requérir une peine privative de liberté de 200 jours, compte tenu de la gravité des lésions subies par B. Au vu de l’absence d’antécédents, le sursis est envisageable. Bouleversé par son acte, A a immédiatement pris en charge les frais d’hospitalisation de B et a pris soin de son ami durant toute sa convalescence, ce qui l’a obligé de quitter son emploi. Il s’est également rendu dans une clinique afin de traiter ses problèmes d’alcool pour d’éviter qu’un tel drame ne se reproduise et s’engage auprès d’associations de sensibilisation. Dans une pareille situation, compte tenu des actes de rédemption accomplis par l’auteur, l’intérêt à la réparation du lésé ainsi qu’au maintien de la paix sociale prime clairement l’intérêt à infliger une sanction pénale.

3. L’exigence d’une condition supplémentaire de l’admission des faits par l’auteur

L’art. 53 let c P-CP pose une condition supplémentaire, à savoir l’admission des faits par l’auteur.

Ici encore, cette condition ne nous paraît pas opportune dans la mesure où la jurisprudence exige d’ores et déjà que l’auteur qui souhaite bénéficier de l’exemption de peine prenne conscience « du tort qu’il a causé » (19). Le Tribunal fédéral a ainsi retenu qu’un prévenu qui prétend ne pas avoir eu l’intention de commettre une infraction et persiste à nier tout comportement incorrect ne peut prétendre à une exemption de peine (20). La jurisprudence actuelle exige dès lors clairement que l’auteur reconnaisse et assume sa faute.

Par ailleurs, nous partageons l’avis de la doctrine qui estime que l’exigence d’aveux reviendrait à vider l’art. 53 CP de son objet pour des raisons procédurales. Ainsi, selon GARBARSKI & RUTSCHMANN :

« Si l’auteur devait avouer avoir commis l’infraction poursuivie, il deviendrait d’ailleurs difficile pour le ministère public de classer la procédure. En effet, une fois entrée en force, l’ordonnance de classement (art. 319 al. 1 let. e CPP, lequel renvoie notamment à l’art. 53 CP) a, de par la loi, le poids d’un acquittement (art. 320 al. 4 CPP). Or, l’acquittement est, par définition, incompatible avec une quelconque reconnaissance de culpabilité » 21.

Au vu de ce qui précède, l’AJP n’estime pas opportune la restriction du champ d’application de l’art. 53 CP et plaide en faveur d’un status quo. Subsidiairement, dans l’hypothèse où l’initiative serait acceptée, l’AJP se prononce en faveur de la première variante du texte légal.

Anna SERGUEEVA, avocate, Membre du Comité

(1) Cf. Avant-projet et rapport explicatif de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 13 octobre 2016 (ci-après « Rapport explicatif »), pp. 4 – 5.
(2) Art. 103 ss CP.
(3) Art. 102 CP.
(4) GARBARSKI Andrew M./RUTSCHMANN Jonathan, La réparation selon l’article 53 du Code pénal: justice de cabinet ou disposition providentielle?, in RPS 134/2016, pp. 171-195, 171-172.
(5) Selon l’art. 42 CP, le sursis peut être octroyé pour des peines privatives de liberté n’excédant pas deux ans.
(6) Art. 34 al. 1 phr 1 nCP, modification du code pénal suisse du 20 mars 2015 (RO 2016 2329).
(7) Rapport explicatif, p. 5.

(8) Message concernant la modification du code pénal suisse (dispositions générales, entrée en vigueur et application du code pénal) et du code pénal militaire ainsi qu’une loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs du 21 septembre 1998 (ci-après « Message du Conseil fédéral »), FF 1999 1787, 1872 ; ATF 135 IV 12 = JdT 2010 IV p. 139, consid. 3.4.1 ; TF, 6B_558/2009 du 26 octobre 2009, consid. 2.1.1.
(9) GARBARSKI Andrew M./RUTSCHMANN Jonathan, La réparation selon l’article 53 du Code pénal: justice de cabinet ou disposition providentielle?, in RPS 134/2016, pp. 171-195, 176.
(10) ATF 135 IV 12 = JdT 2010 IV p. 139, consid. 3.4.3 ; TF 6B_278/2012 du 16 août 2012 ; GARBARSKI Andrew M./RUTSCHMANN Jonathan, La réparation selon l’article 53 du Code pénal: justice de cabinet ou disposition providentielle?, in RPS 134/2016, pp. 171-195, 178.
(11) Petit commentaire du Code pénal, ad. art. 53, p. 335, § 6.
(12) KILLIAS Martin/KURTH Cédric, in Commentaire romand du Code pénal I, ad. art. 53, p. 533, § 4.
(13) FF 1999 1787, 1872 ; KILLIAS Martin/KURTH Cédric, in Commentaire romand du Code pénal I, ad. art. 53, p. 534, § 7.
(14) ATF 135 IV 12 = JdT 2010 IV p. 139, consid. 3.4.2 ; TF 6B_152/2007 du 13 mai 2008 consid. 5.2.3.
(15) ATF 135 IV 12 = JdT 2010 IV p. 139, consid. 3.4.2 ; TF 6B_152/2007 du 13 mai 2008 consid. 3.6.

(16) TF, 6B_558/2009 du 26 octobre 2009, consid. 2.1.2.
(17) FF 1999 1787, 1872 ; ATF 135 IV 12 = JdT 2010 IV p. 139, consid. 3.4.1 et 3.6 ; TF 6B_558/2009 du 26 octobre 2009 consid. 2.1.1 ; Petit commentaire du Code pénal, ad. art. 53, p. 336, § 13.
(18) GARBARSKI Andrew M./RUTSCHMANN Jonathan, La réparation selon l’article 53 du Code pénal: justice de cabinet ou disposition providentielle?, in RPS 134/2016, pp. 171-195, 177-178.

(19) TF 6B_558/2009 du 26 octobre 2009 consid. 2.1.1.
(20) TF 6B_558/2009 du 26 octobre 2009 consid. 2.2.
(21) GARBARSKI Andrew M./RUTSCHMANN Jonathan, La réparation selon l’article 53 du Code pénal: justice de cabinet ou disposition providentielle?, in RPS 134/2016, pp. 171-195, 180-181.