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Chroniques droits humains

L’internement psychiatrique d’un enfant doit rester exceptionnel, par P.-Y. Bosshard

Chronique des droits parue dans Le Courrier du 5 avril 2024

Chronique parue dans Le Courrier du 5.04.2024

https://lecourrier.ch/2024/04/05/linternement-psychiatrique-dun-enfant-doit-rester-exceptionnel/

Le mardi 26 mars dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Moldavie avait violé l’article 3 de la Convention, qui proscrit la torture et tout traitement inhumain ou dégradant, ainsi que les articles 13 et 14 en lien avec l’article 3, qui garantissent le droit à un recours effectif, respectivement l’interdiction de la discrimination, pour avoir fait interner, contre son gré, un enfant orphelin à la charge de l’Etat, considéré comme atteint d’un handicap léger, et lui avoir fait administrer un traitement à base de neuroleptiques et d’antipsychotiques 1.

Atteint d’une déficience intellectuelle légère, le requérant, né en 1998, a été, après le décès de sa mère en 2005, puis l’emprisonnement et le décès de son père en 2009, mis sous la tutelle en 2012 du maire de son village en 2012. En 2013, il fut placé temporairement dans un centre de resocialisation, puis inscrit dans un internat pour l’année scolaire 2013-2014. A la fin du mois de mai 2014, l’internat avertit le maire que le requérant ne pourrait y rester durant l’été, car tous les enfants en partiraient. Le 3 juin 2014, un médecin de l’hôpital régional a, sans avoir vu le requérant, orienté le maire vers un placement en hôpital psychiatrique et un traitement psychiatrique, invoquant un diagnostic de «déficience mentale légère et syndrome psychopathiforme décompensé avec irritabilité et nervosité».

Le 13 juin 2014, suivant l’avis d’un comité pour la protection de l’enfant du même jour, le maire a ordonné le transfert du requérant dans un hôpital psychiatrique pour traitement, désignant l’assistant social de l’administration communale comme chargé d’exécution de cette décision. Le 16 juin 2014, le requérant fut amené dans cet hôpital psychiatrique par cet assistant social, lequel a signé pour le requérant le formulaire d’admission et a dit à ce dernier qu’ils allaient dans un camp d’été. Le 7 juillet 2014, le traitement du requérant a été achevé, mais personne ne vint le récupérer. Il resta dans cet hôpital plusieurs semaines et fut même transféré le 16 septembre 2014 dans l’unité pour adultes.

Durant son séjour, on lui administra d’abord un tranquillisant, puis des tranquillisants et des neuroleptiques, puis après son passage dans la section adultes, des neuroleptiques, des tranquillisants, des anticonvulsivants, des nootropiques, des médicaments destinés à lutter contre le surdosage de tranquillisants et des médicaments pour le cœur. Finalement, le 5 novembre 2014, la cousine du requérant fut nommée tutrice et le surlendemain, il sortit de l’hôpital psychiatrique. Diverses procédures pénales furent par la suite menées contre le maire du village et contre l’autorité de protection de l’enfance, mais finalement sans succès.

La Cour rappelle que les Etats ont l’obligation de prendre des mesures afin que les personnes soumises à leur juridiction ne subissent pas de mauvais traitements, y compris des mauvais traitements infligés par des particuliers. Ces mesures doivent assurer une protection effective, en particulier des enfants et des autres personnes vulnérables et inclure des dispositions raisonnables pour prévenir les mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance. Dans le cas de malades mentaux, il faut tenir compte de leur vulnérabilité particulière.

En l’occurrence, le requérant se trouvait dans une situation particulièrement vulnérable et était placé sous la seule responsabilité des autorités publiques. Faute d’explications suffisantes du gouvernement à cet égard, le placement du requérant en établissement psychiatrique et son traitement psychiatrique ne répondaient pas à une nécessité thérapeutique établie. Il en va de même de la prolongation de son séjour dans l’établissement psychiatrique alors que son traitement initial était terminé et, encore plus, de son transfert dans la section adultes de l’établissement, alors que le droit interne prescrit explicitement que les mineurs ne peuvent y être internés, et de la contention chimique qui lui a été administrée dès son transfert dans cette section, destinée à contenir ses pulsions mais non comprise dans un plan de traitement thérapeutique.

La Cour retient également, notamment sur la base de rapports d’organisations internationales, qu’il existe en Moldavie, chez les représentants des autorités, une discrimination systémique consistant à placer en institution psychiatrique des personnes, en particulier des enfants, souffrant de déficiences intellectuelles, en l’absence de toute indication médicale. La Cour en a vu l’illustration dans le présent cas. Enfin, la Cour a considéré que le cadre légal moldave n’était pas adapté à la situation spécifique des enfants atteints de déficiences intellectuelles et privés de soins parentaux, comme le requérant, notamment en ce qui concerne la possibilité pratique pour celui-ci d’avoir accès à un contrôle indépendant de son placement en hôpital psychiatrique et de la durée de ce placement.

Pierre-Yves Bosshard, titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes

  1. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 mars 2024 dans la cause V.I. c. République de Moldavie (2e section).