Chronique parue dans Le Courrier du 29.05.2025
https://lecourrier.ch/2025/05/29/le-placage-ventral-doit-rester-exceptionnel
Le mardi 27 mai, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que le Danemark avait violé l’article 2 de la Convention qui protège le droit à la vie en raison du décès du fils de la requérante décédé en prison d’une crise cardiaque après qu’il eut été immobilisé en position de decubitus ventral par clé aux jambes1.
Au moment des faits, le fils de la requérante, âgé de 23 ans, purgeait une peine d’emprisonnement de deux ans et soixante jours pour vol qualifié et menaces à l’encontre du personnel pénitentiaire au cours d’une précédente peine d’emprisonnement. Il avait été transféré dans une prison locale quelques semaines auparavant en raison de son comportement violent à l’égard d’un codétenu et de menaces à l’encontre d’un agent pénitentiaire. Le 11 janvier 2011, le détenu était agité et parlait fort dans une langue que le personnel ne comprenait pas. Des codétenus ont dit aux agents qu’il avait mis de la musique forte pendant la nuit. Les agents ont tenté de le calmer, mais il a frappé les murs de la cellule et continué à mettre de la musique forte. Il a alors été décidé qu’il serait mis dans une cellule d’observation pour éviter qu’il ne se blesse et pour maintenir l’ordre dans la prison.
Pour ce transfert, quatre agents sont entrés dans la cellule, mais le détenu s’est comporté de manière menaçante et a fait tomber au sol l’un d’eux. Les autres agents se sont saisis du détenu, l’ont menotté et conduit à la cellule d’observation. Ils l’ont alors placé en position couchée sur le lit, mais, à peine détaché, il s’est montré violent et enflammé. Les agents l’ont alors déplacé sur le sol, en position couchée, les jambes bloquées et menotté. Le détenu continuait à se débattre et à crier. Peu après, il a cessé de crier et un agent a constaté que son pouls ne battait plus. Les agents lui ont alors retiré les menottes, l’ont retourné et lui ont prodigué les premiers soins. Transporté en ambulance à l’hôpital, il y est décédé trois jours plus tard, sans avoir repris connaissance. Un rapport d’examen médical post-mortem mentionne les causes du décès comme suit: «La cause de ce décès est probablement un processus pathologique impliquant une réaction de stress aigu, qui est un mécanisme physiologique impliquant l’activation du système nerveux autonome et la libération d’une série d’hormones de l’hypophyse et des glandes surrénales dans la circulation sanguine, y compris les hormones de ‘combat ou de fuite’ que sont l’adrénaline et la noradréline…»
Se référant notamment à une affaire où elle avait rappelé que le recours à la force, ce qui pouvait conduire à donner la mort de façon involontaire, ne devait être utilisé que dans les cas où elle était rendue absolument nécessaire2, la Cour souligne que l’article 2 de la Convention impose à l’Etat l’obligation positive de former ses agents chargés de l’application des lois de manière à leur assurer un haut niveau de compétence et à prévenir tout traitement contraire à cette disposition. La Cour constate que la compréhension des risques associés à la position couchée s’est développée au fil du temps.
Toutefois, en 2007 déjà, les autorités danoises, en particulier la police, ont pris conscience que ces risques ne se limitaient pas à son utilisation sur des personnes en surpoids, qui peuvent être hyperactives et/ou sous l’influence de l’alcool ou la drogue, ou à la pression exercée sur le dos. En fait, elles étaient conscientes que le fait de maintenir une personne en position couchée si elle est agitée ou retenue physiquement augmente le risque d’asphyxie positionnelle. Par conséquent, cette position couchée ne doit être utilisée que brièvement.
Néanmoins, ces informations n’ont pas été transmises aux autorités pénitentiaires, qui n’ont pas été incitées à revoir et à mettre à jour leurs instructions et leur formation. Dans la présente affaire, si les agents pénitentiaires avaient été correctement formés, ils n’auraient pas maintenu le détenu en position couchée pendant environ treize minutes et auraient utilisé d’autres moyens lui permettant de respirer librement.
Nul doute que cette jurisprudence sera invoquée en Suisse dans le débat politique et juridique actuel où de récents drames ont conduit au décès de personnes à la suite d’interventions de forces de l’ordre. Elle met aussi en lumière la nécessité de directives claires et actualisées selon les dernières connaissances scientifiques sur les principes d’engagement de ces dernières.
Pierre-Yves Bosshard, titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.