Catégories
Chronique droits humains

La renonciation au droit d’accès à un tribunal doit être volontaire, par P.-Y. Bosshard

Chronique parue dans Le Courrier du 12.12.2025

Chronique parue dans Le Courrier du 12.12.2025

https://lecourrier.ch/2025/12/12/la-renonciation-au-droit-dacces-a-un-tribunal-doit-etre-volontaire

Le jeudi 11 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Suisse avait violé le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, pour avoir condamné une personne qui avait fait opposition à sa condamnation, mais ne s’était pas présentée devant le juge1.

La requérante, née en 1972, d’origine marocaine, réside à Lausanne. Par ordonnance pénale du 12 mai 2016, le ministère public de l’arrondissement de Lausanne l’a reconnue coupable d’infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration ainsi que de recel pour avoir hébergé à son domicile deux personnes en situation irrégulière et accepté des objets volés par l’une d’entre elles. Il l’a condamnée à une peine pécuniaire de 100 jours-amende à 30 francs le jour-amende. Le lendemain, la requérante a fait opposition à cette ordonnance. Quelques jours plus tard, le procureur a transmis le dossier au Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne à titre d’acte d’accusation. Elle a alors été citée à comparaître personnellement le 5 mai 2017 à 9 heures. La requérante n’a pas comparu à l’audience, mais bien son avocat d’office qui requit le droit de la représenter. Cependant, le Tribunal considéra que l’absence de la prévenue équivalait à un retrait de l’opposition et constata que l’ordonnance pénale était devenue définitive et exécutoire. Bien qu’elle ait soutenu que son absence le jour de l’audience était due au fait qu’elle avait été agressée et frappée le matin même par un ami de son conjoint, les recours qu’elle forma au Tribunal cantonal puis au au Tribunal fédéral furent rejetés.

La Cour rappelle que la Convention ne s’oppose pas à ce que les poursuites et les sanctions pénales relatives aux délits mineurs relèvent en premier lieu des autorités administratives. Cela vaut a fortiori s’agissant de sanctions pénales prononcées par le ministère public. Dans ce cas comme dans l’autre, il faut toutefois qu’il puisse y avoir un contrôle par un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Ainsi, la procédure de l’ordonnance pénale n’est conciliable avec le droit à un tribunal que dans la mesure où le prévenu a la possibilité d’accéder ensuite à une juridiction pleinement compétente pour statuer sur l’accusation pénale portée contre lui. La Cour poursuit ensuite en rapportant que ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 n’empêche une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite. Cependant, pareille renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties à la mesure de sa gravité. La renonciation n’a pas besoin d’être explicite, mais elle doit être volontaire, consciente et éclairée. En l’espèce, la requérante, absente à l’audience du 5 mai 2017, a immédiatement contesté la décision, faisant valoir qu’elle était indisponible pour des motifs médicaux. Elle a clairement et expressément exprimé son souhait de maintenir son opposition à l’ordonnance pénale et d’obtenir un examen judiciaire du bien-fondé de l’accusation pénale portée contre elle. On ne saurait donc retenir qu’elle avait renoncé à son droit à un tribunal, d’autant que l’application de la fiction du retrait de l’opposition peut avoir pour conséquence l’infliction définitive par une voie non-judiciaire d’une sanction pénale d’une certaine gravité, puisqu’il peut s’agir d’une peine privative de liberté de six mois ou d’une peine pécuniaire de 180 jours-amende.

La réglementation de l’ordonnance pénale mise en place avec l’introduction du code de procédure pénale suisse en 20112 a fait sur cette question de la fiction de retrait de l’opposition, devant le Tribunal de première instance mais aussi, préalablement, devant le ministère public (art. 355 al. 2 CPP), l’objet de vives critiques de la doctrine qui ne la considérait pas compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme. Depuis son introduction, le Tribunal fédéral, constitutionnellement tenu d’appliquer les lois fédérales, en a réduit la portée, prohibant notamment encore récemment la double fiction – fiction de notification de la citation à comparaître et fiction de retrait de l’opposition en cas d’absence à l’audience3. Cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait ainsi remettre en question cette option qui avait été disputée lors de l’élaboration de la loi.

Pierre-Yves Bosshard est Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

  1. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 décembre 2025 dans la cause Fatiha Nejjar c. Suisse (5ème section) ↩︎
  2. Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP) – RS 312.0 ↩︎
  3. Arrêt du Tribunal fédéral du 21 novembre 2019 dans la cause 6B_801/2019 paru au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral 146 IV 30 et les références citées. ↩︎