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Chronique droits humains

Les contrôles d’identité ne doivent pas être discriminatoires, par P.-Y. Bosshard

Chronique parue dans Le Courrier du 27.06.2025

Chronique parue dans Le Courrier du 27.06.2025

https://lecourrier.ch/2025/06/27/les-controles-didentite-ne-doivent-pas-etre-discriminatoires

Le jeudi 26 juin dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit par six voix contre une que la France avait violé, dans un des six cas qui lui étaient soumis, l’article 14 de la Convention qui prohibe la discrimination en relation avec l’article 8 qui protège le droit au respect de la vie privée en raison de contrôles d’identité de jeunes hommes se présentant comme étant d’origine africaine ou nord-africaine et que les requérants qualifiaient de profilage racial ou de «contrôles au faciès»1.

Les requérants étaient six ressortissants français, nés entre 1979 et 1991, résidant dans diverses villes françaises, et qui ont fait l’objet de contrôle d’identité par les forces de l’ordre entre 2011 et 2012. Le 2 mars 2012, les six requérants adressèrent un courrier au ministre de l’Intérieur afin que leur soient communiqués les motifs des contrôles dont ils avaient fait l’objet. En l’absence de suite donnée par la police à leur démarche, ils saisirent les juridictions civiles pour faire constater la responsabilité de l’Etat pour fonctionnement défectueux du service public de la justice. Ils furent déboutés jusqu’à une décision de la Cour de cassation du 9 novembre 2016.

Se référant notamment à une affaire de principe concernant la Suisse2, la Cour rappelle qu’un contrôle d’identité, lorsqu’il y a recours à des pouvoirs légaux de contrainte imposant à quiconque de se plier à une fouille minutieuse de sa personne, de ses vêtements ou de ses effets personnels constitue manifestement une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée. Tout contrôle d’identité d’une personne appartenant à une minorité ethnique n’est pas nécessairement une atteinte à ce droit, mais ça l’est si la personne concernée peut prétendre de manière défendable que c’est en raison de ses caractéristiques physiques ou ethniques qu’elle a fait l’objet d’un contrôle. Tel peut être le cas notamment lorsque la personne contrôlée soutient que le contrôle n’a porté que sur elle ou qu’il ressort des explications des agents qui l’ont mené qu’il était motivé par les caractéristiques physiques ou ethniques de la personne. La Cour souligne également que le droit national réglementant les opérations de police doit offrir un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force. Les policiers ne doivent pas être dans le flou lorsqu’ils exercent leurs fonctions.

Dans le cas particulier, la Cour estime que le cadre juridique et administratif interne en France était, à l’époque des faits, compatible avec les exigences conventionnelles. Pour cinq des six requérants, les contrôles d’identité reposaient tous sur une base légale identifiée et les requérants n’avaient pas apporté le commencement de preuve individualisé d’un traitement différencié à même de créer une présomption de traitement discriminatoire, fondé sur des motifs raciaux. En revanche, pour le sixième cas pour lequel trois contrôles ont été effectués en l’espace de dix jours, la Cour constate que deux ont été effectués hors de toute base légale, qu’ils ont été émaillés d’insultes, de propos déplacés et même de violence physique de la part des forces de l’ordre, de sorte qu’il y avait présomption de discrimination. Le gouvernement français n’avait en revanche apporté aucune justification objective et raisonnable au choix de viser le requérant lors de ces contrôles. Il y a ainsi eu discrimination dans l’activité de contrôle ­d’identité.

Dans une enquête journalistique au long cours parue il y a peu, un policier romand rapportait le racisme au quotidien qu’il vivait dans son environnement de travail. Nul doute que ce jugement est de nature à alimenter le débat sur les règles à poser pour combattre cette dérive.

Pierre-Yves Bosshard, titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

  1. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 26 juin 2025 dans la cause Mounir Seydi et consorts c. France, (5e section). ↩︎
  2. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 20 février 2024 dans la cause Mohamed Shee Wa Baile c. Suisse (3e section), cf. article du Courrier du 21 février 2024. ↩︎