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Chronique droits humains

Le consentement à des relations sexuelles doit être éclairé, par P.-Y. Bosshard

Chronique des droits parue dans Le Courrier du 02 mai 2025

Chronique parue dans Le Courrier du 02.05.2025

https://lecourrier.ch/2025/05/02/le-consentement-a-des-relations-sexuelles-doit-etre-eclaire

Le 24 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a, dans un arrêt de principe, dit à l’unanimité que la France avait violé les articles 3, qui prohibe tout traitement inhumain ou dégradant, et 8, qui garantit le respect de la vie privé, de la Convention pour ne pas avoir suffisamment protégé, dans trois causes distinctes, des filles mineures qui dénonçaient des actes de viol alors qu’elles n’étaient âgées que de 13, 14 et 16 ans au moment des faits 1.

Dans la première affaire, la requérante, née en 1995, dépressive, souffrait depuis l’âge de 12 ans de crises de tétanie, ce qui avait entraîné de nombreuses interventions de sapeurs-pompiers de casernes situées à proximité de son domicile.

A partir du mois d’avril 2009, elle avait eu avec un sapeur-pompier âgé de 21 ans plusieurs rapports sexuels à leur domicile respectif, dans un véhicule ou dans la forêt et qu’ils se rencontraient uniquement dans ce but. Pendant une période d’hospitalisations consécutives à des tentatives de suicide entre les mois d’octobre et de décembre 2009, les actes se sont poursuivis au domicile du sapeur-pompier: à une occasion, en présence de deux de ses amis et, trois semaines plus tard, dans un contexte de forte alcoolisation, avec le cousin de celui-ci. Lors de son premier interrogatoire, elle déclara ne pas avoir été forcée, mais évoqua un discernement amoindri par des traitements médicamenteux lourds et assimila ces actes sexuels à des épisodes de scarification.

Dans la deuxième affaire, la requérante, née en juillet 2005, était sortie, le soir du 26 mai 2020, avec une amie un peu plus âgée. Le lendemain, après que ses parents eurent signalé sa disparition, elle fut entendue par des gendarmes qui constatèrent qu’elle était dans un état d’ivresse manifeste. Elle déclara avoir passé la soirée avec trois individus, être montée dans leur voiture et que, dans un état second, elle avait été «d’accord» d’avoir des rapports avec eux, mais qu’elle n’aurait jamais fait ça si elle n’avait pas consommé d’alcool.

Dans la troisième affaire, la requérante, née en 1991, organisa une fête à son domicile le soir du 10 janvier 2008 où elle consomma du cannabis et de l’alcool avec une quinzaine d’invités dont un garçon âgé de 18 ans rencontré par l’intermédiaire d’amis. En fin de soirée, ce dernier l’entraîna dans la chambre de ses parents et commença à la déshabiller. Elle lui indiqua alors qu’elle était vierge et ne voulait pas avoir de relations sexuelles. Face à l’insistance du jeune homme, elle déclara qu’elle ne s’était pas débattue, mais qu’elle ne lui disait pas «non» et que, comme la pénétration vaginale ne fonctionnait pas, il lui avait imposé une pénétration digitale, une fellation et plusieurs pénétrations anales au cours de la nuit. En réponse à une question d’un policier, elle déclara avoir exprimé des refus verbaux mais qu’elle s’était sentie incapable de réagir ou de s’opposer aux actes sexuels.

Même si une partie des auteurs furent condamnés dans la première affaire, les juridictions françaises écartèrent l’infraction de viol en raison du consentement donné dans les trois cas.

La Cour rappelle que le viol et les agressions sexuelles graves s’analysent en des traitements inhumains qui tombent sous le coup de l’article 3 de la Convention et mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée au sens de l’article 8. En conséquence, les Etats ont l’obligation positive d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent effectivement le viol et de les appliquer en pratique au travers d’une enquête et de poursuites effectives. Ces obligations doivent être interprétées à la lumière des instruments internationaux pertinents, notamment de la Convention d’Istanbul sur la prévention et l’élimination des violences à l’égard des femmes. Ainsi, les Etats ont l’obligation d’incriminer et de réprimer effectivement tout acte sexuel non consenti, y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique. Pour garantir une protection adéquate contre le viol et les infractions sexuelles, les autorités doivent tenir compte, le cas échéant, de la vulnérabilité des victimes, en particulier mineures.

Dans les trois affaires, la Cour observe la particulière vulnérabilité des requérantes eu égard à leur minorité au moment des faits dénoncés et à plusieurs autres facteurs tels que leur état de santé ou leur consommation d’alcool et de toxiques. Or, les juridictions françaises ont omis de procéder à une évaluation contextuelle des circonstances environnantes et n’ont suffisamment tenu compte, dans leur appréciation du discernement et du consentement des requérantes, de la situation de particulière vulnérabilité dans laquelle elles se trouvaient, en particulier eu égard à leur minorité à la date des faits litigieux.

Depuis le 1er juillet 2024, le code pénal suisse a introduit la notion de consentement dans la définition du viol, retenant toutefois le modèle «non, c’est non». Nul doute que cet arrêt pourra éclairer la pratique des tribunaux dans l’interprétation de cette nouvelle disposition, en particulier sur l’exploitation d’un état de sidération que le législateur y a introduit2.

Pierre-Yves Bosshard, titulaire du brevet d’avocat, membre du comité de l’Association des juristes progressistes

  1. Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 24 avril 2025 dans les causes L., H.B. et M.L. c. France (5e section) ↩︎
  2. Art. 190 du Code pénal suisse – RS 311.0 ↩︎